J’écris Quelques mots pour parler du monde qui nous entoure, de la musique qui me fait vibrer et des livres que je lis.
J’essaye de proposer à mon niveau une newsletter qui diffère de celles que l’on reçoit généralement. Je n’ai pas de produit à promouvoir, pas de méthode à vendre. Je souhaite écrire simplement, avec honnêteté et poésie (j’ose !). Le moteur est le tropisme de l’écriture. Le véhicule, cette lettre. Puisse cette dernière être une pause dans le contenu anxiogène ambiant.
J’envoie cette missive directement dans votre boîte mail plus ou moins régulièrement tous les mois, au gré de l’inspiration, de la nécessité de coucher en lignes une réflexion sur le temps qui passe, sur la beauté de l’aube ou sur la singularité lumineuse d’un solo de saxophone.
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Merci d’avance !
Cet agriculteur dans la brume
Encore une fois le syndrome du mot qui manque.
Des mots fantômes, qui viennent hanter un instant votre esprit, mais qui se carapatent en un battement de cils.
Je cherche souvent mes mots. Le mot juste, à l’oral, c’est certain. Mais à l’écrit c’est exacerbé. Je courbe l’échine sous la fameuse pression de la page blanche sans renoncer à pouvoir extraire le sens d’émotions fugaces.
Chaque mot est une prière. Chaque phrase, un temple secret.
Ne pas savoir quoi écrire alors que mille idées sont là, au rendez-vous, se pressent, débordent. C’est le malheur, je crois, de tout écrivain. D’ailleurs est-on écrivain que lorsque l’on écrit ? Est-ce une position liée au seul fait de se mettre derrière sa feuille de papier ou son clavier pour justement écrire ? Ou bien peut-on être considéré comme écrivain même lorsque l’inspiration ne vient pas, que le souffle court de ce vertige mâche les espoirs de lignes nouvelles ?
Je ne sais pas comment écrire parfois. Ou plutôt je ne sais pas comment m’y prendre pour écrire, pour malaxer ces songes diffus en un substrat digeste de pensée.
Le comment a toujours été de mon côté plus compliqué, confus, grotesque que le pourquoi qui lui est grand, inviolable et splendide. La question avant la forme. La pensée en archipel et le fond avant la structure et la mise en pratique. Parce que comprendre a toujours été le sel de ce qui me fait conquérir de nouveaux horizons.
Mais rester dans le questionnement ultime est une douce utopie dans un monde où le livrable est une mesure majeure.
Et le comment est évidemment essentiel. Il est peu reluisant, parfois même grossier comme une aventure mal ficelée, mais il fait avancer, pose des jalons qui, même imparfaits, nourrisse l’expérience.
Aussi, nous vivons dans un monde d’idées, ou chaque opinion peut être postée et écrite en une seconde sur toutes les plateformes possibles. Chaque idée est un thread potentiel sur Twitter, un post Facebook, un carrousel Instagram. Mais j’ai la sensation parfois qu’on lit sans saveur, que l’on partage des titres d’articles sans avoir lu le contenu, pour aller vite, pour faire bien, pour faire juste. Pour se faire appartenir à cette société d’éclairé(e)s, d’informé(e)s.
On doit s’adapter sans cesse au cycle du jour qui nous apporte un flux d’informations bien trop grand pour nos cerveaux. La surcharge informationnelle (ou “l’infobésité”) n’est pas nouvelle, mais elle continue son petit bonhomme de chemin mine de rien. La filoute.
Ce fleuve continu d’informations, de matière textuelle, d’adjectifs calqués sur chaque réalité, m’impressionne tout en me laissant interdit sur ma propre capacité à produire de la pensée. Pourtant, je l’ai dit, les points d’accroches sont bien là. Exploitables comme un terreau fertile. Je suis un agriculteur perdu dans la brume au milieu de ce champ idéel.
Le monde est un chant d’îles
J’ai alors pensé que pour cette nouvelle missive, après vous avoir fait un laïus sur les sinuosités personnelles d’un jeune homme néanmoins très privilégié, j’allais vous partager ce qui me fait vibrer jour après jour, sans discontinuer : la musique.
J’ai déjà consacré une lettre entière à ce sujet. C’était d’ailleurs la première de Quelques mots. Ce n’est pas anecdotique car je pense que la musique est universelle dans la mesure où elle permet de faire l’expérience sensible d’une émotion presque charnelle. Alors que les mots ont cette capacité de se mouvoir dans l’ethos unique d’une langue en elle-même. Clamer sa grammaire, son tempo, sa tonalité lui procure une poésie forte. Mais heureusement que le métier de traducteur existe car je serai mort de n’avoir pas lu Pessoa, Sepúlveda ou Al Khamissi.
Revenons au musical ici. Comme je l’expliquais précédemment, j’écoute de 3h à 8h de musique par jour, parfois la même chanson jusqu’à 15 fois en boucle pour atteindre une forme de réflexe Pavlovien de concentration, pour essayer d’entrer dans le flow.
Je passe régulièrement d’un style à l’autre, d’un(e) artiste à l’autre et je pensais avoir lu cette phrase quelque part qui décrit bien cet état de voyage d’écoute :
Le monde est un chant d’îles
Mais je ne la retrouve pas (peut-être n’ai-je pas bien cherché). Cela pourrait tout à fait être une phrase d’Édouard Glissant tant par sa forme poétique que par son sens profond, par son triptyque métaphorique typiquement glissantien : monde, chant, île. Une créolisation sonore à concevoir.
Je vous proposerai donc de temps à autre dans cette lettre une sélection personnelle des sonorités m’accompagnent.
Le voyage insulaire débute doucement par un jazz lumineux de Matthew Halsall. Il y a un chapelet d’instruments mélodiques, presque magiques dans ce morceau, assez distinctif du style du jazzman, qui me parle beaucoup. C’est une chanson totem qui éveille, émerveille, donne du courage, de l’allant. Je l’écoute souvent le matin ou en début de journée avec un café noir.
Restons dans la nature. Chez le fleuriste plus précisément. Cette reprise de Magnolias for Ever m’a tout simplement attrapé. Rien ne me prédestinait à tomber sous le charme des paroles que je trouvais un peu désuètes chantées alors par son auteur en patte d’éléphant. Mais j’ai été complètement soufflé à la première écoute. Les mots qui résonnent enfin, la voix si particulière d’Emma Peters, l’arrangement harmonique impeccable : trois minutes pile de mélancolie heureuse.
En parlant d’amour, j’ai découvert ce groupe et cette chanson que je trouve superbe. Son titre évocateur se suffit à lui-même, et n’attendez pas d’en avoir plus dans les paroles car elles tiennent la chanson en quelques phrases lancinantes. The key to love … is understanding. Un grand oui. Le trio guitare/basse/batterie est terriblement efficace.
Continuons sur les sentiments avec cette fois : l’honnêteté dans les rapports humains. Je me réveille généralement assez tôt, et j’écoute presque tous les matins France Info avec notamment la rubrique l’Étoile du jour de Marion Lagardère qui fait le portrait d’une personne remarquable, souvent inconnue, ou d’une initiative notable partout dans le monde.
Cette chronique se conclut toujours par un extrait musical en lien avec la thématique. Et c'est dans celle du 3 mars dernier que j’ai découvert cette pépite de Billy Joel.
Une musique que j’écoute cette fois plus dans le courant de l’après-midi. Je vous la conseille en heure creuse, quand la digestion fait son œuvre et que vous avez besoin d’un petit remontant qui pétille. J’ai récemment découvert Enchantée Julia. J’aime beaucoup cette scène de la néosoul française (et francophone). Ce titre est frais, malicieux. On y cause de Saint-Denis ou de Gare de l’Est ce qui me touche particulièrement pour y avoir vécu plusieurs années. Une vraie friandise.
Il est rare que je passe une journée sans écouter de la soul. Si je n’ai aucune inspiration je me retranche sur ma zone de confort : Marvin Gaye. Et notamment l’album What’s Going On de 1971. Récemment je me repasse en boucle cette perle des Commodores. C’est vraiment tout ce que j’aime : un beat bien funk qui donne envie de sourire à tout le monde au rayon fruits et légumes, des chœurs qui mettent les poils, un petit solo de cuivres sirupeux. Soleil, où es-tu ?
Depuis plusieurs années, je suis la nouvelle scène de l’afro-beat avec des artistes qui trustent les charts depuis le Nigéria. Les héritiers de Fela Kuti ont d’ailleurs trouvé leur roi : Burna Boy. J’écrirais sûrement une prochaine lettre exclusivement à propos de ce style qui me touche et de Burna. Voilà ici Finesse de Pheelz et Buju (deux artistes de Lagos !) qui revient régulièrement ces derniers jours. Ce n’est pas une chanson exceptionnelle - elle ressemble même à d’autres titres afro-beat - mais je lui trouve une profondeur inattendue après plusieurs écoutes.
Nous sommes sur le continent africain, restons-y pour le dernier titre de ce numéro avec Petit Sékou du groupe guinéen Bembeya Jazz National. Un orchestre qui prend son inspiration dans la musique mandingue, la salsa cubaine et qui a activement contribué à nourrir les contours d’une identité guinéenne après l’indépendance du pays en 1958. Morceau principalement instrumental, avec une sonorité de guitare très reconnaissable des groupes africains des années 60-70. La mélodie lancinante vous entraîne puis est entrecoupée de quelques rires presque possédés. Le titre fait sûrement référence à Sékou Touré, premier président de la République de Guinée, panafricain mais aussi apprenti dictateur qui aura muselé l’opposition durement.
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C’est finalement peut-être ça l’air du moment : des dictateurs, des fantômes, des rires effrayants, un besoin d’amour et de compréhension et, plus que jamais, une prise en compte du vivant pour continuer de voir les étoiles à travers la canopée du monde.
À très vite pour le prochain Quelques mots !