Sur Spotify, écoutez aussi des choses que vous n'aimez pas.
Et un peu de choses que vous aimez quand même.
J’écoute 8 à 9h de musique par jour.
Tous les jours ou presque.
Majoritairement en travaillant parce que mon job me le permet (à part quand je suis requis au sein de la 7e réunion en visio de la journée). Ça me permet de me concentrer je crois.
Madeleines de Pavlov
J’ai commencé à prendre l’habitude d’écouter de la musique lorsque je révisais pour le Bac, et puis, plus tard avant les partiels à l’université. Je vissais mon casque sur la tête, ouvrais devant moi mes fiches de Philosophie politique et lançais une de nombreuses playlists de Chopin qui existe sur YouTube. Oui Chopin, et particulièrement ce Nocturne. Ou bien du jazz. Bobo va !
En tout cas des musiques stimulantes, sans paroles et qui permettent de former des boucles régulières.
J’ai gardé cette routine jusqu’à aujourd’hui lorsque je suis censé être concentré devant un ordinateur. C’est devenu naturel, organique presque. Je crois que si je n’avais pas de musique pendant ces heures de travail en solitaire, j’arriverai difficilement à me motiver. Une petite voix se déclenche dans mon cerveau lorsque les morceaux se lancent et me dit “c’est bon tu peux y aller, regarde la mélodie elle aussi a démarrée”.
D’ailleurs j’ai un peu mes madeleines de Proust. Voire des sortes de réflexes pavloviens en ce qui concerne les musiques que je choisis pour entrer dans ce qu’on appelle le flow. Cet état de concentration assez fin et profond que certains musiciens, gymnastes ou développeurs web connaissent. Je peux repasser dix, voir quinze fois la même piste musicale dans la même heure, pour rester dans la même dynamique de concentration. Cet article en parle bien.
Voici mon top 3 depuis plusieurs mois (voir les liens plus bas) :
My Favorite Things - John Coltrane
As - Stevie Wonder
Canto de Xangô - Baden Powell
Du jazz, de la soul et des sonorités qui font revivre les Orishas.
Embourgeoisement
J’ai un compte Spotify premium.
Car ne pas être entrecoupé de pub lorsque je suis lancé dans la découverte d’un album ou d’un.e artiste est un luxe. Ne pas être coupé lorsque c’est la quatorzième fois que je repasse la même piste à la recherche de ce Saint-Graal qu’est le flow, l’est tout autant.
Payer un abonnement permet ce must, cet embourgeoisement de l’écoute sereine en cédant de l’argent contre de la tranquillité et du confort d’écoute. C’est un choix d’investissement régulier qui me convient pour le moment.
À partir du moment où vous devenez un utilisateur premium au sein de ces plateformes, tout est fait pour que votre rétention soit la plus forte possible. “Découverte de la semaine”, “Summer flash-back”, “Capsule temporelle”, “En boucle”. Autant de noms de playlists déjà créées pour vous qui vous assurent de nombreuses heures d’écoute en perspective.
L’algorithme de Spotify comprend vos goûts. Vos humeurs. Et votre envie du moment. Même quand vous-même ne savez pas exactement quoi choisir dans cette jungle du streaming musical.
Une sorte de prêt-à-écouter consistant et sans fin.
Mais l’algorithme fait presque trop bien son travail. Il vous propose généralement des musiques dans la même veine que ce que vous avez déjà écouté précédemment. Et plus vous écoutez certains styles musicaux, plus l’algorithme s’affine et réduit votre champ des possibles. C’est chouette et nul.
Oui, oui. Les deux à la fois.
Algorithme VS aficionados
On a tous connu cette phase de découverte d’un nouvel artiste, voire d’un genre musical qu’on souhaite défricher. En tout cas de mon côté ça m’arrive au moins deux fois par mois.
Je viens récemment par exemple, de (re)découvrir Paco de Lucia, le dieu du flamenco il y a quelques semaines. Plusieurs jours durant, je suis allé fouiller dans sa discographie en essayant d’écouter ses différents morceaux phares.
J’ai oublié qu’en même temps, je nourrissais l’algorithme et son appétit d’ogre pour mieux connaître par cœur mes goûts musicaux.
Durant plusieurs semaines après cette phase de Lucia, Spotify m’a proposé des morceaux de flamenco dans ses playlists suggérées. Je dois l’avouer, c’est agréable car ça permet de découvrir encore d’autres artistes dans ce même style sans trop d’effort. Et des artistes moins connus que les têtes de ponts de ces genres. Mais dans le même temps, ça rend super fainéant. Vraiment. On peut perdre notre goût de la recherche et de la découverte en se contentant de ce travail numérique exclusivement préparé pour vous.
Les algorithmes de Spotify, Deezer ou encore YouTube ne sont pas des aficionados sensibles aux sonorités. Ce ne sont que des machines froides qui calculent la probabilité que vous appréciez également tous ces nouveaux morceaux qu’ils vous proposent.
La puissance de ces algorithmes est indéniable. Ils classent, affinent, trouvent, mettent en lumière, agencent, proposent, déroulent, prennent le temps qu’on n’aurait apparemment pas ou plus.
Le temps de la découverte
Alors que faire ?
Ne pas rejeter en bloc le fonctionnement de ces plateformes bien entendu. C’est le jeu, c’est leur force, leur poule aux œufs d’or pour une expérience toujours plus personnalisée. Et nous y restons (et payons même parfois) pour cela !
Seulement il faudrait peut-être se souvenir de la manière dont on découvrait de nouvelles musiques avant le streaming. Avant l’époque de la piste unique d’un artiste et même avant l’ère internet.
Je n’ai que très peu connu cette époque, j’étais encore tout jeune et je suis de la génération dont l’adolescence s’est terminée avec Facebook et dont les découvertes créatives se sont faites en grande partie sur YouTube.
Mais quand tout ça n’existait pas encore ? Comment on faisait ? Je pense notamment ici à Rémy Kolpa Kopoul qui nous a quittés brutalement il y a quelques années. RKK comme on l’appelait était l’un des plus grands spécialistes français de la musique brésilienne.
Il a fait les grandes heures de Radio Nova avec ses chroniques de niche exigeantes. La fin de sa carrière était bien évidemment entrée dans la vague internet, mais il avait eu entre-temps mille vies dans des écoles de samba à Salvador ou chez des disquaires de niche parisiens. Pour écouter, prendre le temps, et découvrir toujours plus de belles choses qu’il transmettait lors de concerts aussi chics qu’improbables.
Ça prend du temps de découvrir de nouvelles choses, notamment en musique. Ça prend du temps et c’est exigeant. Il faut laisser du temps au temps. Comme pour toute chose d’ailleurs. Se laisser le temps de goûter, de comprendre. De ne pas comprendre tout de suite aussi. De ne pas aimer à la première écoute et puis d’y revenir pour voir si notre ressenti a bougé.
Il faut avoir la patience de ne pas savoir et d’être perdu. Il faut avoir le courage de rechercher par soi-même, de taper au hasard sur sa plateforme de streaming favorite “Forró nordeste”, “Twoubadou” “rumba congolaise”. Testez, chouettes découvertes à la clef, je m’y engage !
C’est ce que j’appelle avoir une écoute active, curieuse et consciente. Pour découvrir tout type d’art, on ne peut pas seulement se résigner à suivre les “conseils” d’intelligences artificielles ou comportementales. Si ce confort d’écouter “toujours les mêmes choses” est rassurant et que c’est un sentiment que beaucoup d’entre nous ressentent ces dernières années : il y a une voie de sortie. Il faut chiner. Comme RKK. Comme nos parents qui se rendaient chez des disquaires pour défricher les derniers 35 tours ou galettes que personne n’avait encore découverts !
Récemment j’ai été impressionné par la culture musicale de Bob Sinclar. On voit que ce n’est pas une posture et que le DJ est réellement passionné. Puriste et précis. Avec une mémoire incisive à couper le souffle. Sa musique n’est pas mon style musical de prédilection (ni le média où il donne cette interview) et pourtant j’ai pris quelques notes sur les références qu’il envoie à la volée. On sent qu’il a pris le temps de la découverte, de se constituer une solide culture musicale et en a pu faire son métier. Et puis sa collection de vinyles est incroyable il faut se l’avouer !
Donc n’hésitez pas à écouter des choses que vous aimez un peu moins sur vos plateformes de streaming !
Ou en tout cas, des choses qui vous sortent de votre zone de confort musical pour ne pas rester prisonnier.ère d’une jolie bulle de sonorités qui, au final, tendent à se ressembler.
Si vous le souhaitez, quelques conseils de fin pour tenter d’échapper à l’implacable des données :
affichez tous les styles musicaux qui existent sur votre plateforme favorite
choisissez-en un en particulier et découvrez les sous-catégories potentielles qui existent (exemple pour le Jazz : “Jazz fusion”, '“Brass band”, “Latin jazz”)
tapez 2 ou 3 lettres au hasard dans la barre de recherche proposée et arrêtez-vous aux résultats suggérés : vous allez tomber sur des artistes que vous n’auriez sûrement jamais croisés en temps normal !
découvrez de la musique en dehors des plateformes ! Lorsque vous regardez un film ou une série, il y a toujours ce moment où un joli morceau vient appuyer un moment clef du scénario. Essayez de trouver quelle est cette musique (Goog… Shazam est votre ami !). On peut même découvrir de la musique via la littérature. Je me souviens par exemple avoir découvert le chanteur ougandais Geoffrey Oryema grâce à Petit Pays1, le premier roman de Gaël Faye. Et notamment cette sublime chanson.
abonnez-vous à des newsletters de radios éclectiques comme Nova Selecta par exemple (oui encore eux)
soyez curieux.euse, parlez de musique autour de vous et tendez l’oreille : il y a sûrement encore pas mal de choses à découvrir !
inscrivez-vous à cette lettre, je vous partagerai régulièrement mes découvertes musicales, entre autres choses et pensées personnelles :
Bonne écoute,
Et à dans deux semaines pour quelques mots !
https://www.babelio.com/livres/Faye-Petit-pays/847696