2022 ou le temps de l'écriture !
Irradier ses pensées, ses ressentis profonds par l’agencement de la langue.
Belle nouvelle année !! ✨
Je suis très heureux de vous retrouver pour Quelques Mots, la lettre poétique qui parle du monde que je vous enverrai régulièrement en 2022. Après une année 2021 très mouvementée émotionnellement, je préfère ne pas définir de régularité trop précise comme j’avais pu le faire en démarrant cette lettre. Je vais plutôt me laisser porter par le flot des envies d’écriture lorsqu’elles viennent et rester attentif au silence introspectif de l’idée qui n’est pas encore assez mûre pour être partagée. J’essayerai néanmoins de vous envoyer Quelques Mots au moins une fois par mois ! Merci de me lire 💌
Une rouille qui persiste
Depuis deux ans, il nous ronge.
Il tisse en nous ce sentiment que l’attente est la stratégie. Et que les jours sont nos cartouches d’espoir.
Les unes après les autres, on compte les heures comme des perles d’un collier sans fin. Puis les journées, les semaines et les mois en cortège. Le temps semble s’être arrêté dans une lubie d’éternité qui glace le sang.
Depuis deux ans, il nous ancre dans une réalité qui semble si peu vraisemblable puisqu’elle prend le parti de ne ressembler à rien que l’on aurait pu imaginer. Il a surgi dans nos vies comme une blague vaseuse, un relent de lointain. Mais il est là. Et semble s’attacher à cette cohabitation forcée. Comme une rouille qui persiste.
Covid.
2 syllabes, 2 voyelles, 3 consonnes.
Une entame qui présageait pourtant du bon, du partage, du commun, du collectif. Du “co” on pouvait s’attendre à une initiative solidaire, au début du nom d’un festival néorural où les cours de yoga ashtanga et la vente de pommes bio cohabiteraient.
Mais il n’en est rien. Le second souffle du mot annule nos espoirs aussi sec qu’ils avaient surgi, en français du moins. Il annonce la couleur d’une absence, d’un espace en déliquescence. “vid” ; même le “e” semble s’être fait la malle. Le manque était déjà là, inextricablement lié à la nature de cette pandémie.
Glosons pour gloser. Une logique s’établit finalement puisque cette valse des variants nous impose une aventure collective, totale, sans que le sel de ce qui fait les relations humaines exulte. Nous manquent donc le contact physique, les rires proches et les baisers, les accolades franches et sans peurs, les sourires ou les moues dubitatives, ou au moins les expressions faciales multiples (peu importe ; on veut de l’expression à FFP2 négatif).
Sur l’impression d’une horloge détraquée, j’ai personnellement appris à vivre avec, à essayer de malaxer mon monde en sanctuarisant des moments comme le matin. Mais l’impression d’un étouffement du temps libre persiste toujours un peu pour être honnête.
Tout va trop vite et trop lentement à la fois. Cela fait donc deux ans que le virus joue les prolongations. Plus personne ne souhaite le voir continuer de jouer, s’amuser sur le terrain comme un chien fou, tout seul, ivre d’une galopée sordide. Le moment de rentrer au vestiaire est passé depuis belle lurette donc qu’elle ne fut pas notre surprise lorsqu’au coup de sifflet final, espéré par tous, le joueur tyran s’arrogeait le droit de faire perdurer le jeu en dépit des règles qu’on s’était imaginée.
Alors on se disait, pour se rassurer un peu, dévoués à nous consoler le cœur :
“Dans 2 mois c’est plié, aux beaux jours” ;
“Après l’été, la chaleur va le tuer ce couillon” ;
“Peut-être alors qu’à la rentrée ?”
“Passons Noël et ça ira mieux, attendons, attendons, la respiration finale viendra, et le temps des cerises avec, ou peut-être plus tard que prévu ? ”
“Prenons notre mal en patience, vu que la patience est semble-t-il tout ce qui reste à nos tempes flétries, prenons le temps oui, soufflons…”
“Attendons … de la résilience, de la patience, de la bienveillance, et encore quelques semaines”
“Cela fait déjà 2 étés, non ? ”
Je suis un Don Quichotte ébahi face à l’adversité. Ironiquement, le remède que j’ai trouvé pour tenir tête à ce venin Gargantua de temps, de santé mentale et de poumons, fut de me transformer en mon obsession chevaleresque : un moulin. Oui mais un moulin à paroles. Ou plutôt, à écrit. L’antidote c’est l’écriture. Cervantès serait fier de moi.
Irradier
Irradier le papier ou le clavier, peu importe. Irradier, faire vibrer les songes jusqu’à la moelle de l’idée. Irradier le papier, le stylo ou le clavier, peu importe. Écrire seulement et ne plus avoir peur de se tromper, de ne pas avoir la phrase parfaite, de ne pas être touché du sceau magique des écrivains, caste chimérique d’intouchables surdoués. En 2022, même sans éclair de génie, sans frisson créateur qui prend aux tripes parfois, il faudra écrire, sans pression, mais écrire tout de même.
Ce virus prend le monde dans un étau spatiotemporel, il est alors temps de reprendre nos droits. En couchant le trésor le plus précieux qu’il nous ait été donné de chérir jalousement au creux de l’âme : les mots.
Je vous parlais il y a quelques mois de mon plaisir de lire1, indissociable de celui d’écrire car je crois au pouvoir magique des mots pour se réapproprier nos réalités collectives.
Dans la politique d’abord, les mots comptent même s’ils ne suffisent pas puisqu’ils sont avant tout la mise en forme de projets concrets, de plans tangibles, chiffrés, structurels. Ils peuvent servir à porter une vision, un souffle, un idéal commun. Comme ils peuvent briser la conscience humaine, rapetisser, rabougrir, claironner que la division des hommes est la solution.
J’écrivais d’ailleurs dans un autre texte de 2021 2 :
“Les mots créent l’imaginaire. Certains permettent même d’empuissanter le monde, de le magnifier. Ces mêmes mots peuvent également perdre de leur sens quand leur singularité mystique se confond dans la boue du désastre.”
La poésie sauvera le monde ? Peut-être qui sait ? Mais elle ne fera pas grand-chose face au constat qu’un jeune sur dix est en situation de pauvreté en France. Des mots oui, mais du concret aussi !
Le pouvoir des mots nous permet donc d’incarner mieux cette réalité trouble où seules les heures semblent courir sans qu’on ne puisse jamais les attraper. Écrire c’est surtitrer le réel pour mieux le concevoir. Écrire c’est panser les peurs et caresser l’espoir d’un futur (ou d’un présent) désirable.
“Les mots ne sauvent pas de tout. Mais ils permettent de naviguer dans un monde qui tremble.”
Puisque le virus semble nous priver de certains sens, il me semble qu’écrire est l’un des saluts au sein desquels se jeter sans crainte.
Qu’écrire alors ?
Tout je dirais. Ou tout ce qui mérite de l’être. Irradier ses pensées, ses ressentis profonds par l’agencement de la langue. Écrire c’est un remède, une potion et un calmant, un vertige et un sauvetage tout à la fois ; c’est sentir que le temps s’écoule sans cesse mais qu’on le tient pour témoin de cette quête sensible.
Tancer le temps, manger les mots, courir le risque de détester ce qu’on vient de mettre en forme, c’est ça écrire. Alors parfois apprécier pudiquement, à juste distance, qu’un trait singulier se soit glissé dans une formulation céleste.
C’est la promesse que je me fais pour 2022. Écrire.
Ainsi qu’un vœu de bonne année que je vous envoie et vous souhaite d’expérimenter pour ces nouveaux mois incertains si le cœur vous en dit.
Les mots ne sauvent pas de tout.
Mais ils permettent de naviguer dans un monde qui tremble.
P.-S. : J’achève tout juste cette missive en apprenant la mort de Gaspard Ulliel, à 37 ans. Je ne sais pas si c’est la proximité culturelle, son charisme, son jeu incroyable dans les quelques films où il a joué, où tout simplement son trop jeune âge, qui me touchent le plus mais la vie ne tient en effet qu’à un fil parfois. C’est con. Trop tôt. Trop triste. Il faut vivre ici et maintenant, vague ou non, virus sous stéroïdes ou pas, car tout peut s’arrêter demain, comme ça, d’un claquement de doigts. Trop tôt. Trop con. Alors tâchons de prendre soin de soi et de celleux qu’on aime à tout instant. Et avec poésie si possible !
Rhizomes curieux
À la fin de chaque numéro de Quelques mots, je vous propose des curiosités vues, lues ou entendues depuis la dernière lettre :
Une discussion de haut vol entre Bernard Friot et Frédéric Lordon sur le communisme et ce qu’il pourrait charrier à notre époque. Animée subtilement par Frédéric Taddeï.
Je n’ai pas encore tout écouté mais je vous recommande “Ave Cesária” ; un podcast de Nova en 10 épisodes sur Cesária Évora, chanteuse qui nous a quittés il y a quelques années déjà et que j’écoute très régulièrement. Un podcast écrit par la journaliste et biographe de Cesária Évora Véronique Mortaigne et raconté par le rappeur d’origine cap-verdienne Stomy Bugsy.
Qu’est-ce qu’on écoute ?
Je vous ai déjà parlé de musique et de flow dans une précédente missive. Le musicien Pharoah Sanders fait définitivement parti de mon top pour la richesse de son œuvre et l’état de flow dans lequel on entre avec certains de ses titres. J’écoute par exemple depuis plusieurs années Astral Traveling mais depuis quelques semaines je me repasse en boucle You’ve Got to Have Freedom qui, en plus d’un titre approprié vu le sujet des lignes précédentes, me permet d’entrer rapidement dans cette “zone” du flow durant quelques minutes.
Merci de m’avoir lu jusqu’ici. À très vite pour le Quelques mots de février ! Pour recevoir directement les prochaines lettres dans votre boîte, notez votre adresse mail préférée ici :
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